Poussée spontanée, quand tu nous prends...
Celles qui accouchent poussent. Sans qu’on leur dise comment, et quand pousser. C’est que, vous voyez, ÇA pousse. Comme dans ‘IL’ neige, comme dans ‘J’AI LE HOQUET’. Petite histoire de poussée spontanée.
Ce moment de la poussée, il est si désappris dans nos sociétés qu’il donne lieu à des idées et conceptions bien éloignées de la réalité…et j’ai la joie de porter la bonne nouvelle; pousser, c’est comme vomir. Hé hé.
Il faut absolument dire à une femme quand et comment pousser ?
Dès que la mère pousse, bébé naîtra une ou deux minutes plus tard ?
La poussée, plus douloureuse que le reste de l’accouchement?
Si on vit une longue naissance, on risque de ne pas avoir l’énergie de pousser…
On les regarde, ces mythes ? Et on recadre, un peu, la réalité du processus d’expulsion d’un bébé ? Dans un cas normal, c’est-à-dire où le bébé et sa mère vont bien…et dans le vécu des femmes qui gardent contact avec leurs sensations.
D’abord, petite illustration rapide de ‘pourquoi’ on pousse. D’un point de vue mécanique, une fois le col utérin de la mère tout ouvert, les contractions continuent de faire descendre doucement bébé dans le vagin de sa mère. Les os de son crâne ne sont pas encore soudés. Tiens tiens…. Défaut de fabrication ? Mais non, c’est ainsi pour que le crâne du bébé puisse se mouler au bassin (qui bouge lui aussi) de sa maman, et arriver à venir la rencontrer. Ils bougeront autant et aussi longtemps que nécessaire pendant la naissance. Attention ! On ne pousse pas nécessairement aussitôt que la dilatation du col est complète. Ce n’est pas ça le signal. Car les femmes ne se mesurent pas le col pour savoir quand pousser. Non. Ce qui fait qu’éventuellement la mère aura envie de pousser, c’est plutôt la pression de la tête de son bébé à des endroits précis de son vagin qui lui donneront cette envie.Comme c’est le bébé qui donne le signal de départ de sa naissance, c’est aussi lui qui demande à sa mère de l’aider à descendre.
Il faut absolument dire à une femme QUAND et COMMENT pousser ?
Pousser, c’est un réflexe involontaire. Vous en connaissez d’autres…. Éjaculer, déféquer…. Vomir…QUAND POUSSER ? Dites-moi…. Est-ce que l’on vous a déjà dit quand et comment vomir ? Est-ce qu’on vous a déjà demandé ne pas vomir quand l’urgence se faisait sentir ? Avez-vous déjà douté de votre capacité à vomir ? Ben voilà.
Dire à une femme qu’elle doit commencer à pousser sans en sentir le réflexe, c’est prendre le risque qu’elle pousse un bébé encore haut, se fatigue plus vite, conduise à une poussée moins efficace car menée par la tête et non le corps, fatigue le bébé/amène à une phase de poussée que l’on pourrait considérer trop longue ( donc recours aux instruments ou constat d’arrêt de progression / césarienne), ou mène à plus de déchirures*… c’est courir le risque qu’elles ne sente jamais son propre réflexe, et c’est aussi fragiliser la femme dans sa confiance que son corps sait, qu’elle peut lui faire confiance et le suivre. Ça c’est pour le moment du début de la poussée.
Mais qu’est-ce qu’on sent, à ce moment-là ?
D’abord, après le plus ou moins long temps de contractions qui aura précédé, on sent qu’on n’en peut plus. Ou qu’on ne trouve plus comment. On sent que la chose nous dépasse, que c’est donc ben fort et rapproché, dis donc. On sent qu’on doit changer quelque chose, tout notre corps, tout notre être nous dicte que l’on doit lâcher, sauter, grandir. Et comme à chaque moment de croissance..et ben…. on a peur. De ne pas y arriver. Que cela fasse plus mal encore. D’être une maman. De mourir. Tout y passe. Cette peur fait de nous une maman parce qu’on la traverse et qu’ensuite, comme une déesse, on le pousse notre bébé (entre nous, sachez que quand on a peur on sécrète de l’adrénaline et que cette adrénaline-là, à ce moment-là seulement de l’accouchement, sera notre meilleure amie. Celle qui se sentait si somnolente, qui ronflait entre les contractions, et bien elle se redresse, a soif, ‘revient’ en quelque sorte avec ceux qui l’entourent.
Au mythe : si on vit une longue naissance, on risque de ne pas avoir l’énergie de pousser… mais non… Elle aura la force que pousser grâce à son adrénaline, aussi longtemps que nécessaire, bébé supportera la descente, prendra ses premières respirations. La mère et le bébé, super alertes dans les heures suivant la naissance, mettront leur allaitement et attachement en branle…. Mioum. Vive l’adrénaline, mais juste à ce moment-là de l’accouchement.). Puis, on l’a dit, quand la tête du bébé dicte l’ordre au corps de la mère de pousser, ça se passe. Parfois juste autour du moment où le col s’ouvre entièrement, parfois plusieurs heures ou minutes après. On dit des choses comme : ‘ÇA POUSSE.’ ‘IL S’EN VIENT’ ‘IL POUSSE’. Et c’est donc une grande pression au niveau des fesses, puis du vagin, puis du périnée que l’on sent. C’est que bébé, mine de rien, avance dans ce coin-là.
Ce que je vous dis donc, simplement, c’est que personne n’a à apprendre comment pousser, et n’a à se faire dire comment le faire. Comme vomir. On sait faire.
Bien beau tout ça, mais faut le voir pour le croire. Peu l’ont vu. Exposés à des horreurs de scènes d’accouchement à la télé, nous n'avons pas vu de poussée spontanée et non-dirigée. Peu d’équipes l’ont vu. Car ce que je vous raconte, c’est bien présent quand on accouche sans péridurale. Plus subtil, voire inexistant avec. Peu de professionnels savent attendre sans rien faire. La faute à personne, sinon à notre culture-de-générations-de-naissances-endormies-pas-sûr-si-ce-corps-de-femme-est-adéquat-aussi-bien-l’aider-un-peu. Faut le savoir, et le voir, pour le croire, et laisser l’espace pour que cela se passe.
Alors là, voilà; ça se passe. C’est magique. Voyez :
Examinons maintenant le COMMENT de la poussée, justement.
Ça… je le rencontre presqu’avec chaque couple que je rencontre en cour prénatal. Souvent les parents s’attendent à ce que j’enseigne COMMENT pousser. Vous savez, comme ce que nos mères se sont fait enseigner ? La respiration en petit chien ? Prend ton air, fille, compte jusqu'à dix en poussant comme si tu allais à la selle...
Et bien… non, je ne l’enseigne pas. Parce que ce n’est pas nécessaire. En effet, une femme qui accouche et qui n’est pas dérangée saura toujours quoi faire. Son corps le saura je veux dire, pas sa tête.
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D’ailleurs, je me souviens d’une mère qui vivait son accouchement comme toutes les mères, dans le courage, l’intensité, le magnifique. Lorsque son bébé a commencé à descendre et qu’elle a donc senti ses premières sensations de poussée, je me souviens de ses yeux; ses yeux qui cherchaient, et elle qui me disait : ‘ Je sais pas quoi faire, qu’est-ce qu’il faut que je fasse?’’. La doula lui a alors dit ce qu’une doula dit si souvent; ‘non, ta tête ne sait pas quoi faire, mais ton corps, oui. Suis-le, c’est parfait ce que tu fais.’ Et elle a appris. Elle avait d’ailleurs tous les droits d’apprendre, chose que l’on ne mentionne pas souvent aux femmes. Quand la poussée s’installe et que l’on sent ces fortes sensations pour la première fois, parfois oui on est déstabilisée. On ne trouve pas toujours rapidement comment. Normal, car on apprend ! Laisser le droit aux femmes de prendre le temps de trouver leur chemin, c’est fondamental.
La méthode de poussée qui est représentée l’effarante majorité du temps, cette femme donc allongée sur le dos, qui pousse en retenant sa respiration, les yeux exorbités, et bien ce n’est pas ce qui est recommandé par la SOGC (Société des Obstétriciens et Gynécologues du Canada)*. D’ailleurs, nous savons aussi que cette méthode augmente les risques de déchirures au périnée et de prolapsus de la vessie ou de l’utérus.
Dès que la mère pousse, bébé naîtra une ou deux minutes plus tard ?
Rares sont les bébés qui descendent en 2 ou 3 poussées, surtout pour les premiers petits cocos. La SOGC dit d’ailleurs qu’en situation normale, rien ne devrait être fait pour hâter la sortie de bébé ni ne devrions-nous partir en césarienne avant au moins 2 bonnes heures de poussée. C’est vous dire.
La poussée est plus douloureuse que le reste de l’accouchement
Dépend. Pour la plupart, pousser soulage. Certaines n’aimeront pas particulièrement ces sensations. C’est ok. C’est vrai que ce n’est pas le summum du confort, avoir un bébé qui nous traverse. Mes trucs de doulas pour diminuer la douleur à ce moment-là ? Liberté de mouvement, gorgée d’eau entre chaque contraction ( Seigneur qu’on a soif quand on pousse !! ), compresses froides dans le visage/cou et compresses chaudes au périnée.
Et de mon point de vue…. Parce que je suis une si chanceuse que je suis invitée à assister à la naissance de plein de bébés, de plein de familles… parce que je me suis offert la chance de voir ce passage en présence simplement, sans faire partie d’une équipe, sans papiers à remplir, sans standards de temps à rencontrer, sans gestes à poser, sans comptes à rendre…je peux, une vingtaine de fois par année, me blottir avec des parents qui m’ont choisie, et les suivre dans leur aventure. Quand bébé dicte l’ordre au corps de sa mère de l’aider à descendre, je vous fais une petite confidence; en-dedans de moi, ça explose.
De joie.
Dans mon ventre, c’est chaud.
Dans mon visage, ça s’illumine, je le sais.
Dans mes yeux, le/la partenaire voit bien que je suis convaincue que ça marche. Qu’il n’y a pas de danger même si c’est fort.
L’infirmière voit bien que je comprends ce qui se passe, qu’on va vivre tout ça ensemble.
La sage-femme sait que je sais.
La mère peut s’y accrocher. Elle ne tombera pas. Elle s’envole.
* https://www.urofrance.org/nc/science-et-recherche/base-bibliographique/article/html/mode-de-poussee-a-laccouchement-et-consequences-pelvi-perineales-revue-de-la-litterature.html
** SOGC :
https://www.jogc.com/article/S1701-2163(16)39242-8/pdf